(Publié le 25 janvier 2016)

     Depuis la Bolivie, aller sur l'île de Pâques coûte un bras et pour cause : les (grosso modo) 4000 kms qui la séparent à la fois des côtes chiliennes et des îles polynésiennes françaises en font l'île habitée la plus isolée au monde. Au delà de la présence des célèbres Moaïs, c'est bien sûr cet isolement qui en a fait un mythe, et elle vaut bien un caprice. Pierre Loti, un autre charentais maritime épris de voyages, en disait ceci : « Il est au milieu du Grand Océan, dans une région où l'on ne passe jamais, une île mystérieuse et isolée ;aucune terre ne gît en son voisinage et, à plus de huit cents lieues de toutes parts, des immensités vides et mouvantes l'environnent. Elle est plantée de hautes statues monstrueuses, œuvres dont ne sait quelles races aujourd'hui disparues, et son passé demeure une énigme ».

     Le tableau qu'en fait Pierrot est un tantinet sombre et inquiétant, limite "porte de l'enfer". Mais peut-être voulait-il garder cette merveille pour lui ? Car pour de vrai, l'île de Pâques répond aux attentes du voyageur d'aujourd'hui qui y met les pieds: le mythe ouvre en grand ses portes sur une île volcanique, bordée d'un océan bleu azur, et gardée - il semblerait depuis toujours - par ses sentinelles énigmatiques et magnifiques.

     L'île de Pâques c'est une chiure de mouche posée sur la carte du monde, un confetti triangulaire perdu dans l'immensité du Pacifique, façonné par ses 3 volcans principaux. Elle en compte au total 70, certains tout petits, qui dessinent un relief doux balayé par les alizés.

     L'avion a eu la bonne idée de nous déposer directement sur le tarmac – j'adore ces arrivées à la bonne franquette –, et les premières dizaines de mètres parcourues jusqu'à l'aérogare m'ont immédiatement replongé dans l'atmosphère calédonienne. Il y a peut-être quelque chose de commun à toutes ces îles du Pacifique sud, une odeur, des couleurs, un truc qui vous enveloppe et vous imprègne. Je n'avais pas ressenti çà, par exemple, sur l'ile de La Réunion, dans l'océan Indien. Ces premiers instants m'ont donc ramené presque 20 ans en arrière (j'ai habité 5 ans en Nouvelle-Calédonie) et j'avoue que ça m'a un peu déstabilisé. Heureusement Pâques est suffisamment différente et unique pour que je m'en remette vite.

     La petite ville d'Hanga Roa me paraît cependant représentative de la vie sous les tropiques : on sent bien que ces habitants ne sont pas les plus stressés. Ils roulent en 4X4 plus ou moins gros, parfois déglingués. Ils s'approvisionnent dans de petits commerces qui au final n'ont pas grand chose à proposer, mais à des prix parisiens. Quelques locaux vendent aussi un peu de leur propre production. La vie n'a l'air ni compliquée ni difficile (pour rappel, nous sommes ici au Chili qui n'a évidemment pas les mêmes difficultés que d'autres pays d'Amérique du sud, à commencer par la Bolivie d'où nous venons). Les subsides venues de la nation mère et du tourisme, même s'il ne nous a semblé nulle part envahissant, ne doivent pas être pour rien dans ce relatif confort. Hanga Roa, bordée par la mer n'est donc vraiment pas désagréable, mais si on est venu de si loin, ça n'est évidemment pas pour elle.

     2 jours de location de moto puis de scooter (moins cher et plus aimable avec nos fesses) nous ont permis de sillonner les 2 routes que compte l'île, grande comme 2 îles de Ré. La végétation n'est pas sublime mais la côte, le plus souvent de roches très sombres, est joliment mise en valeur par le bleu de la mer. L'unique plage de sable blanc est splendide, l'eau à la température qui convient.

Mais on est surtout venu pour eux, et on peut enfin les approcher : les Moaïs impressionnent. Qu'ils soient alignés sur un Ahu (socle), isolés, renversés, coiffés ou tête nue, ils en imposent. L'île compte 887 statues dont plus de la moitié sont réparties sur les pourtours de l'île. Mais près de 400 sont à peine sorties de la carrière où elles ont été ébauchées, sur les pentes d'un volcan. Cette visite est à mon sens la plus belle de toutes à faire ici, et il ne faut surtout pas oublier de grimper jusqu'au cratère qui abrite un lac très bucolique.

Les archéologues et la tradition orale indiquent que les Moaïs représentent plus des ancêtres que des divinités. Ils ont le regard tourné vers l'intérieur de l'île (à l'exception de ceux qui n'ont pas quitté la carrière) et tournent donc le dos à la mer. Ça questionne, tout comme questionnent les techniques employées pour déplacer les statues sur plusieurs kilomètres. Il n'y a pas de réponse unique à ça, tout juste des esquisses de début de suppositions. C'est bien ainsi, le rêve se nourrit du mystère.

     On se sent bien sur l'île de Pâques : un petit bain près des cocotiers de temps à autres, la dégustation de glaces énormes, un soupçon de culture, une canette de bière sur une terrasse et devant les tortues qui barbotent, quelques balades motorisées le nez au vent, une grimpette sur les volcans environnants, et voilà une petite semaine qui passe sans qu'on s'en rende vraiment compte, dans la coolitude tropicale. En prime du rêve réalisé, une étape où il fait bon se reposer et profiter de sa blonde pour quelques jours encore.